Journaling, scrapbooking, journal intime, journal d'artiste... Quelle est la différence ? Dans cet article en deux parties, faisons ensemble le point sur les pratiques d'écriture intime. Je commence par poser les bases : l'écriture intime, qu'est-ce donc ? Vous verrez que c'est une pratique plus vaste que ce que vous pourriez penser au premier abord ! Dans un prochain article, nous explorerons les différents types de journaux, carnets et autres cahiers personnels qui nous font tant de bien.

Un concept qui ne va pas de soi...

L'écriture intime est tout simplement le fait d'utiliser un support matériel pour parler de soi. J'aurais pu dire : ''écrire sur soi'', mais vous allez voir que justement, parler de soi ne passe plus seulement par l'écrit. Bref, le bon vieux journal intime a beaucoup évolué ces dernières années !

Quoique nous en ayons tous entendu parler, notamment au travers d’œuvres telles que le célèbre Journal d'Anne Franck, le fait de parler de soi et de laisser une trace ce faisant ne va pas nécessairement de soi, justement. D'ailleurs... le concept de SOI non plus ne va pas de soi ! Autant vous trouverez de nombreux journaux intimes de célébrités ayant vécu au XXe s., comme Salvador Dali ou encore Anais Nin, quasiment adoubée sainte patronne du journal intime, autant vous peinerez à trouver des journaux intimes plus anciens. Imaginez un peu un moine copiste en train d'utiliser parchemin et pigments hors de prix pour raconter sa vie ! En vérité, il y a des traces d'expression personnelle sur les manuscrits, un récent article de Slate en recense des exemples assez... colorés. Mais on est loin de l'écriture intime telle qu'elle est aujourd'hui.

Le véritable journal intime ou, plus génériquement, le journal personnel, a pris son essor il n'y a que deux cents ans environ. Les traits distinctifs du journal personnel sont alors très vagues, car cet objet servait à l'origine plus à mettre de l'ordre dans des idées, à noter des réflexions d'ordre pratique ou philosophique... Bref, à l'origine, le journal personnel sert à gagner en efficacité. À partir de là, tout est possible, en conséquence de quoi seuls deux critères permettent de classifier un écrit comme journal personnel :

- Il est écrit à la première personne, ce qui en fait un témoin de la montée de l'individualisme dans la seconde moitié du XVIIIe s. dans le milieu bourgeois. Je ne développerai pas ici pourquoi l'individualisme n'est pas la source de tous les maux affectant notre société, contrairement à ce qui se dit à l'heure actuelle. Disons simplement qu'en ouvrant la porte à l'écriture à la première personne, le journal personnel a contribué à permettre à toute une civilisation d'explorer le monde de l'intériorité et d'en découvrir la profondeur et la complexité. Cela ne s'est pas fait en un jour, évidemment, et les premiers journaux personnels étaient bien plus terre à terre que maintenant. Mais cette exploration progressive se retrouve également dans l'art, dans la littérature et dans l'essor de la psychanalyse.

- Il est daté. C'est ce qui peut en faire un document historique et sociologique exceptionnel quand on en retrouve un riche en détails oublié dans un vieux grenier.

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Au fil du temps, l'accessibilité accrue des ressources nécessaires pour tenir un journal et à l'éducation, donc à la capacité à écrire, ont permis de diffuser la pratique dans toutes les couches sociales. Parallèlement, ladite pratique s'est féminisée et le journal personnel est devenu le lieu idéal non seulement pour avoir un coin tranquille à soi, mais encore pour éprouver toutes les découvertes sur l'intériorité humaine qui ponctuent la fin du XIXe et la première moitié du XXe s., non seulement avec l'essor de la psychanalyse et de la psychologie, mais encore avec celui de l'Art comme lieu d'expression d'une réalité subjective, complexe et difficile à appréhender. Là, on peut commencer à parler de journal intime.

Pour la plupart d'entre nous, toutefois, le journal intime se contente de raconter les événements qui ont ponctué la journée et notre réaction à ces derniers. Ce format s'est généralisé dans les années 50, avec l'apparition du petit carnet qui ferme à clef. Invention de génie, car le frein majeur à l'écriture intime est la peur que quelqu'un trouve le journal et le lise ! Presque toutes les petites filles ont essayé de tenir un tel journal intime. Souvent sur une seule page avant de laisser tomber.

Mais le format ''date + Cher journal, aujourd'hui...'' a ses limites, car il incite à s'en tenir à raconter des événements souvent répétitifs ou à se concentrer sur de petits détails sans pousser la réflexion de façon transversale. Pourtant, un journal intime peut aussi servir à consigner nos émotions, nos rêves, nos peines, nos processus mentaux et en cela, il dit beaucoup sur nous. Il peut aussi servir à créer des liens entre les événements. À tel point qu'il peut devenir un outil thérapeutique à part entière...

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Du journal intime au journal créatif

Aujourd'hui, le journal personnel est devenu protéiforme :

* Des milliers de personnes continuent à écrire chaque jour dans leur journal intime, comme un rituel indispensable, mais pas nécessairement pour raconter leur journée. Certaines thérapeutes ont mis au point des techniques d'écriture destinées à améliorer le bien-être quotidien, à évacuer les pensées qui tourbillonnent ou encore à s'organiser dans une vie trop chargée. Les applications possibles du journal personnel sont légion. Dans The Artist's Way, Julia Cameron propose par exemple un programme de réappropriation de la créativité à travers un programme de douze semaines dont une des pierres angulaires sont les fameuses pages du matin, trois pages d'écriture de tout ce qui nous passe par la tête dans un journal dédié à cela, sans dérogation possible. Les personnes qui y parviennent en disent que cette méthode est miraculeuse pour la créativité.

* Un champ thérapeutique s'est carrément développé au fil des années, sous la houlette de thérapeutes américains tels que James Pennebaker. Le constat de départ est malheureux : des personnes souffrant de syndrome post-traumatique ont témoigné avoir tenu un journal intime classique avec des conséquences désastreuses. En racontant leur journée, elles se remettaient à parler de leur traumatisme, ce qui non seulement ne les faisait pas progresser, mais encore les enfermait dans un emballement infernal d'images et de souvenirs qui retournaient le couteau dans la plaie. Petit à petit, d'autres techniques ont alors été mises au point pour apporter une solution adaptée au problème. D'autres figures importantes du journal thérapeutique sont Ira Progoff, Kathleen Adams ou Natalie Goldberg. Notons que le journal thérapeutique est une branche de l'écriture thérapeutique, qui elle-même relève des art-thérapies.

* Mais quid des personnes qui détestent écrire ou qui ne peuvent pas trouver les bons mots pour s'exprimer ? Tout n'est pas perdu. En 1979, l'art-thérapeute Julia Capachionne publie The Creative Journal. Ce livre marque le début de la fusion entre écriture thérapeutique et art-thérapie dans un seul cahier ou carnet. C'est aussi la première mention du terme ''journal créatif''. Mais vous aurez remarqué que tous les auteurs que je cite dans cet article sont américains... Comment accéder à leurs travaux, sachant qu'ils sont très loin d'être tous traduits ? C'est la tâche que s'est donnée l'art-thérapeute québécoise Anne-Marie Jobin, férue de journal intime. À ce jour, elle donne la seule formation de journal créatif permettant d'appréhender la tenue d'un journal mêlant différents langages (écriture, collage, photo, dessin, peinture, etc.) et sur tout l'éventail d'utilisations que permet cet outil, du ludique au thérapeutique, de l'expressif à la plongée au cœur de soi. À ce titre, le Journal Créatif® (la marque déposée indique qu'on parle spécifiquement de la méthode de Mme Jobin) peut être un outil de médiation artistique absolument incroyable, mais il faut avoir suivi une formation conséquente pour pouvoir l'utiliser. Toujours est-il que le journal créatif permet de lever, contourner ou compléter la contrainte de l'écriture dans le journal intime. Je dis compléter, car même si j'adore écrire, l'utilisation d'autres langages dans mes journaux intimes m'a fait évoluer en profondeur.